Est-ce que la Silicon Valley est le meilleur endroit pour démarrer sa startup ?
Suite à mon appel, Mateusz m’a posé la question suivante :
Maintenant que San Francisco semble devenir hors de prix, est-ce toujours là que les jeunes porteurs de projets doivent lancer leur startup ? Ne vaut-il pas mieux aller dans des villes comme Detroit pour les Américains, voire de rester en Europe pour les Européens ?
Le coût de la vie est probablement une des raisons principales qui m’ont fait revenir en Europe. J’avais beau très bien gagner ma vie, avec un loyer à plus de $3000, un bébé et une femme qui ne peut pas travailler (car son visa ne le permet pas), les fins de mois sont souvent difficiles. Le loyer n’est malheureusement pas le seul problème, San Francisco est une ville chère de manière générale. Par exemple, n’espérez pas y trouver un bar où le verre de vin est à moins de $10. En plus, pour ce prix, vous n’aurez pas un grand vin de Bordeaux mais un vin Californien de milieu de gamme. À Barcelone, pour €10, j’ai droit à un menú del día composé d’une entrée, d’un plat, d’un dessert et d’un verre de vin rempli à ras bord pour accompagner le tout.
Cette démesure dans les prix est tout à fait acceptable pour un employé de Google gagnant aux alentours de $200K par an mais elle me semble difficilement compatible avec une startup qui est en train de développer un minimum viable product (MVP), qui cherche encore son marché et pour laquelle chaque centime compte.
Au bon endroit ?
Il semblerait qu’il y ait de meilleures options aux États-Unis, comme l’explique cette étude réalisée par NerdWallet en novembre 2014. Celle-ci établit un classement des meilleures villes Américaines selon des critères comme l’accès aux fonds, le networking, l’économie locale et le coût de la vie. De façon étonnante, le top 3 est constitué d’Arlington (Virginie), Madison (Wisconsin) et Lincoln (Nebraska). San Francisco se situe à une peu glorieuse 23ème place. Un autre article datant du mois d’août 2015 place Salt Lake City (Utah), Baltimore (Maryland) et Nashville (Tennessee) en tête des villes Américaines les plus “hot” pour les startups.
En outre, de plus en plus de gens expliquent qu’ils ont décidé d’aller démarrer leur startup en Asie du Sud-Est, là où il possible de vivre une vie presque luxueuse pour moins de $1000 par mois (ici et ici par exemple). L’expert Colombien Brendan Moroso utilise le terme “nexpat” pour qualifier ces nomades numériques qui décident de s’envoler vers des contrées où la vie est moins chère et où la qualité de vie est meilleure. Ces cas ne sont plus isolés et semblent devenir une réelle tendance. Celle-ci se généralisera sans doute dans les générations futures, où la norme sera d’avoir vécu dans une demi-douzaine de pays différents tout au long de son existence, et non pas d’avoir résidé dans le même village toute sa vie comme c’est encore souvent le cas de nos jours.
Néanmoins, la Silicon Valley est toujours incontournable pour quiconque veut réussir de façon globale dans le domaine des technologies. En 2016, c’est encore là que les choses se passent et si vos ambitions sont très élevées pour votre business (et elles devraient l’être), vous ne pourrez pas à y couper. Un bref coup d’oeil à la liste des licornes (ces sociétés privées dont la valeur est estimée à au moins un milliard de dollars) nous montre qu’un grand nombre d’entre elles sont encore basées à San Francisco ou dans la Silicon Valley.
La bonne nouvelle, c’est que nous ne serez probablement pas obligés de devoir déplacer toute votre équipe sur la côte ouest des États-Unis pour réussir. Je pense d’ailleurs que c’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire. Devoir être en compétition avec Google, Facebook et Uber pour recruter (et surtout garder) les meilleurs talents est un problème que vous ne voulez pas avoir. Toutefois, si vous souhaitez établir l’entièreté de votre équipe dans la Silicon Valley, c’est le prix auquel vous devrez payez vos employés qui vous fera souffrir le plus. À talent et à nombre d’employés égaux, votre masse salariale pourra au moins être divisée par deux en Europe. Une présence minimale sur place et un CEO qui voyage beaucoup peuvent être suffisants pour profiter du meilleur des deux mondes.
Aussi, démarrer sur un petit marché peut être un avantage très intéressant. Spotify a démarré en Suède et a pu y convaincre les labels sur place de donner accès en streaming à l’entièreté de leur catalogue. Comme le marché était petit, le danger pour eux était mesuré. L’apparition de Spotify aux États-Unis est arrivée bien plus tard, une fois que le modèle avait été validé sur un marché moins risqué. Démarrer sa startup en Belgique est donc très loin d’être une idée idiote. Après, il est évident qu’il faudra prendre l’avion si votre ambition est de bâtir un empire à l’échelle globale et non pas de rester une curiosité nationale.
En tant qu’entrepreneur Européen, voici sans doute le genre de stratégie que vous pourriez adopter si vous souhaitiez démarrer une startup demain. Tout d’abord, tâchez de construire un MVP avec la plus petite équipe possible et le plus petit financement (seed funding) possible depuis un endroit où le coût et la qualité de vie sont relativement corrects. Ensuite, testez le produit sur un marché limité et itérez jusqu’à atteindre le product/market fit et une traction encourageante. N’oubliez pas que la plupart des startups échouent car elles construisent un produit dont personne n’a besoin. Une fois le product/market fit trouvé, allez faire un petit tour dans la Silicon Valley pour y tisser des liens et pourquoi pas essayer de réaliser une première levée de fonds (Series A). Essayez que cette dernière ne soit pas trop grande afin de conserver la gouvernance de votre bébé, mais suffisamment importante pour pouvoir monter une équipe, accélérer et entériner toute concurrence. Gardez une présence minimale dans la Silicon Valley, mais essayez de baser la majorité de votre équipe dans un endroit qui sera meilleur marché et moins concurrentiel d’un point de vue recrutement. Vous pouvez aussi le faire de façon totalement décentralisée à travers le monde, comme Buffer. En tant que fondateur et CEO, le plus important n’est pas d’être proche de vos investisseurs, mais d’être proche de votre marché. Si vous voulez vous assurer que votre startup sera un succès, écoutez attentivement ce que vos utilisateurs ont à dire et ne restez jamais très loin d’eux. Évidemment, n’oubliez pas de passer du temps avec votre équipe, afin de donner un sens à ce qu’ils font et de les guider au mieux pour accomplir votre vision.
Tout ceci reste évidemment un scénario idéal qui relève un peu de la science-fiction et est entièrement basé sur mon expérience personnelle. Chacun est différent et chacun aura donc une vision des choses qui lui est propre. Il n’y a pas qu’une seule façon de réussir mais quel que soit le chemin que vous souhaitez emprunter, dites vous que la seule chose certaine est que vous allez en baver et que rien ne va se passer comme prévu (sauf si vous prévoyez que rien ne va se passer comme prévu). Toutefois, cela reste important d’avoir une certaine idée d’où on veut mener son bateau et de comment on veut structurer son entreprise.
En conclusion, je suis convaincu qu’on peut démarrer une startup de n’importe où, mais pour devenir un succès global, la Silicon Valley reste encore un passage obligé. J’espère avoir répondu de façon satisfaisante à la question.